Le Québec ne peut interdire le pari en ligne qu'en changeant le jeu

17 Juil. 2015

Dernièrement, une petite remarque sur proposition contenue dans le Plan économique du Québec, un document de 620 pages publié en mars dernier, a suscité une certaine attention, grâce aux sonnettes d'alarme tirées par les organes de protection de la vie privée, les activistes politiques et les défenseurs des droits des consommateurs.

Le gouvernement du Québec a apparemment l'intention de suivre un plan pour bloquer les sites de pari « illégaux » dont les activités empiètent sur les revenus que peut engranger Espacejeux, son site de pari approuvé.

Le programme de restriction du pari au Québec propose qu'aucun « fournisseur de services Internet ne puisse permettre l'accès à un site de jeux de hasard et d'argent en ligne dont le nom se retrouve sur une liste de sites à proscrire établie par Loto-Québec ».

Il s'agit là d'un combat d'arrière-garde bien étrange, qui de toute évidence est en totale contradiction avec le fait que le Telecommunications Act du CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) stipule que les opérateurs télécoms ou les fournisseurs de service ne peuvent interférer avec le « contenu ou influencer le sens ou l'objet des télécommunications qu'ils acheminent pour le public ».

Ainsi, la proposition du Gouvernement du Québec, bien cachée parmi les clauses du budget, apparaitrait comme une impasse législative. Étant donné la clarté du Telecommunications Act, pourquoi cette proposition a-t-elle été faite au départ ? Et pourquoi en font-ils la promotion maintenant ?

Les opposants s'inquiètent.

Est-il possible que, enhardi par une victoire face au pari « illégal », le gouvernement s'attaque ensuite aux services de transport non accrédités comme Über, ou à la concurrence déloyale entre les appartements non accrédités loués par Airbnb et les hôtels ainsi que les industries B&B fortement réglementés ?

L'observateur Michael Geist craint que le « plan du Québec pour bloquer l'accès aux sites de pari puisse aisément s'étendre à d'autres secteurs ». Cela implique que les sites ne respectant pas les droits d'auteur pourraient être bloqués, ou même que les sites enfreignant la Charte de la langue française (loi 101) pourraient être fermés parce que ne comportant pas suffisamment de contenu en français.

C'est toutefois à ce niveau que ce jeu devient intéressant. Surveiller de près l'implication du gouvernement dans cette affaire. Y en a qui tirent des ficelles dans l'ombre.

Alors que la plupart des commentaires en ligne se focalisent sur les méfaits de l'ingérence du gouvernement dans les télécommunications, ce qui semble plutôt se produire, c'est que le gouvernement du Québec envisage de modifier entièrement les règles en changeant l'enjeu et en transformant une discussion sur la liberté d'expression sur internet en une bataille sur la question de savoir si le pari pose ou non un sérieux problème de santé publique.

Lorsque vous y pensez, ce plan paraît tellement insensé qu'il pourrait fonctionner.

A en juger par une conférence de presse donnée en Mars par le ministre des Finances Carlos Leitao, il semblerait que la stratégie du gouvernement à propos des sites de pari en ligne est de reclasser cette activité dans son ensemble en problème de santé publique.

Cette réforme ne sera plus du ressort de la juridiction fédérale qui n'est pas assujettie à la loi sur les Télécommunications, mais sera sous le contrôle du ministère de la Santé, ce sur quoi chaque province canadienne a toute juridiction.

Si la juridiction change, cela devient un tout autre sujet.

Interpellé par les journalistes sur la question de la juridiction en mars, Leitao répondit ceci : « Il y a des choses que nous pouvons faire de notre côté parce que nous allons aborder cette question d'un point de vue de santé publique, d'un point de vue de contrôle de jeu, ce qui est dans notre juridiction ».

Il souligna ensuite que Loto-Quebec était naturellement désavantagée vis-à-vis des compagnies de jeux en ligne. « Ce que nous voulons, c'est que tout le monde joue selon les mêmes règles. Loto-Québec obéit à des règles strictes pour éviter le jeu compulsif, les autres sites qui n'ont pas de licences ne suivent pas les mêmes règles. Il y a un enjeu de concurrence déloyale ».

Avocats, lancez les manœuvres.

Un vieil adage dit que la maison l'emporte toujours, mais quel type de maison serons-nous désormais si Leitao arrive à faire réguler le pari en ligne au niveau provincial en tant que question de santé et à l'enlever de la juridiction fédérale ?

En novembre 2014, le Groupe de travail sur le pari en ligne du Québec a rendu son rapport qui s'est avéré être l'élément qui a inspiré Leitao pendant qu'il préparait ses propositions budgétaires du mois de mars, même s'il a interprété les recommandations de façon légèrement sélective.

Pour commencer, le Groupe de travail a souligné le fait que l'addiction au pari affecte 0,4% de la population, ce qui ne constitue pas une très grosse menace pour la santé publique. « Sur les sites de pari, en moyenne » il est écrit « les Québécois adultes ne jouent pas très souvent, pas très longtemps, et ne dépensent pas beaucoup ».

Ensuite, la proposition actuelle du Groupe de travail pour gérer le pari en ligne n'est pas de bannir littéralement les sites, comme le gouvernement le suggère en ce moment, mais plutôt de proposer ce genre d'activité au publique sous l'égide étatique, vraisemblablement via Espacejeux.

Le Groupe de travail encourage même un amendement au Code pénal « pour permettre la mise en place d'un système d'accréditation qui contrôlerait les activités des opérateurs de pari en ligne ». Cela devrait en théorie éliminer la « compétition déloyale » pointée du doigt par Leitao. Cependant, même avec ces recommandations un peu moins radicales qui lui sont présentées, le gouvernement lui-même ne semble pas enclin à suivre le conseil de son Groupe de travail.

Dans un email envoyé cette semaine à la radio CJAD, l'attachée de presse du ministre des finances, Andrée-Lyne Hallé, écrit : « Nous allons donner suite aux mesures annoncées dans le budget ». Cela veut dire que le gouvernement a l'intention de demander à Loto-Quebec d'établir sa liste de sites de pari « illégaux », qu'il essaiera ensuite de bloquer, soi-disant pour des raisons de santé publique.

Il convient de préciser que, questions de santé mis à part, le gouvernement estime que le fait de fermer les sites permettra à sa plateforme de pari approuvée, Espacejeux, d'enregistrer un profit de 13,5 millions de dollars au cours de 2016-2017, et un bénéfice de 27 millions au cours des années qui suivront. Argent qui devrait apparemment être réservé au Ministère de la Santé ?

Quelles sont les chances que le gouvernement québécois arrive à contraindre les fournisseurs de service internet et les compagnies de télécommunications à bloquer de façon sélective certains sites web pour des raisons de santé publique, sans automatiquement déclencher un conflit avec la Loi sur les télécommunications du Canada ? Pour être honnête, elles sont presque nulles. Cependant, cela devrait permettre aux avocats chargés de plancher sur la juridiction de se faire beaucoup d'argent sur le dos des casinos.